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Affichage des articles du décembre, 2024

67. deux jours comme « caporal – incorpo »

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  Le sous-lieutenant Kinz a demandé des volontaires pour être « caporal-incorpo », c’est-à-dire pour passer deux jours à la compagnie d’appui, conduire un groupe de jeunes arrivants lors de leurs passages au coiffeur, à l’habillement, à la visite médicale, et leur apprendre les premiers rudiments avant qu’ils ne soient confiés à leurs véritables cadres. Finalement, deux soldats sont désignés : Denis Couvard et moi. Je suis impatient de pouvoir retourner dans les bâtiments de la onzième compagnie, de pouvoir revoir les choses mais de l’autre côté, avec cette assurance qui est maintenant la mienne. De pouvoir juger ce temps de cauchemar à l’aune de mon expérience présente. Denis Couvard et moi mettons nos plus beaux treillis, portons fourragère, pucelle régimentaire, et mêmes galons aux épaules comme notre appartenance à la musique nous le permet. Nous partons à pied pour la compagnie, en échangeons quelques mots. « Cela ...

68. La « Musique » se promène

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  C’est le plein cœur de l’été. Une nouvelle fois, la section « Radar et Musique » se voit privée de permission ce dimanche pour une prestation musicale dont nous ignorons les raisons. Nous nous préparons à contrecœur. Alors que nous nous rendons « sans idée de manœuvre » au bâtiment musique, je respire sans joie l’air moite qui pèse lourdement sur le régiment presque désert. Picardie, en ce week-end, n’appartient pratiquement qu’à nous. Nous voyons juste passer un petit camion qui vient de relever un planton de la compagnie de liaison et de renseignements – celle dont les soldats pilotent des motos – partis faire son tour de garde à Pelleport. Nous embarquons rapidement nos instruments de musique dans les soutes des deux petits autocars blancs. « Tracer ». Nous sommes vêtus de nos pantalons de treillis de parade, des rangers soigneusement cirées et équipés des lacets blancs – en fait, de la ficelle, qu’il est toujou...

69. Spleen de septembre

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  Septembre. Temps frais, soleil, une route. Un pas après l’autre . De petits ponts qui surplombent des rivières presque asséchées. Une fine poussière dansant dans le vent. Arbres et prairies. Pas d’autres bruits que nos pas et quelques chants d’oiseaux. Une voiture, de temps à autre, qui nous croise. La campagne qui nous entoure, si nous étions dans un conte, on la qualifierait de riante. Je ressens le poids du temps. Chacun de nos pas efface le précédent. Chacun de nos battements de cœur est un de moins, et non un de plus. Septembre, c’est le commencement de la fin. Comme tout cela a été bien agencé pour nous : février, son temps gris et froid, la saison où l’on tremble, où on cherche vainement à se protéger des vents glacés qui vous percent jusqu’au cœur. Avril, mai, et le soleil, et la libération. Avant que ne vienne la chaleur de l’été, la culmination de tout. Et puis l’automne, la neige de novembre qui arrive alors que tout est sur le point ...

70. Être prêt

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  « La vraie épreuve du courage  n’est que dans le danger que l’on touche du doigt. » La Fontaine Dix heures. En ce mois de septembre, la nuit est déjà tombée sur le quartier Rabier. Il n’y a plus beaucoup de véhicules pour franchir le portail. Je suis rentré de mon tour de garde sous les lointains hangars de Pelleport, et je me dispose à m’allonger un peu, en attendant le prochain, à deux heures du matin, au bâtiment «transmissions». Tous ceux de mon contingent sont en ce moment même dispersés dans le régiment. Il n’y a guère au poste, que deux des « 95/06 », ceux que nous méprisons vaguement car leur période d’instruction raccourcie fait qu’on ne peut pas avoir confiance en eux. Je suis le seul ancien présent. Le caporal Blanchon, soldat professionnel, est avec moi. Je m’allonge à demi sur une des couchettes. Je sais que je ne dormirai pas jusqu’au matin. J’ai peu de goût pour les périodes de sommeil de court...

71. L’ultime garde

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Tour de garde nocturne à Pelleport, à nouveau, en ce mois d’octobre finissant, alors qu’il nous reste si peu de temps avant de nous séparer. Je prends certainement une de mes dernières gardes, si ce n’est la dernière, moins attentif à ce qui se passe dehors qu’à le venue impromptue et silencieuse de l’adjudant d’unité venu vérifier si j’accomplis consciencieusement mon devoir. Sous la clarté indécise d’un premier quartier de Lune qu’obscurcissent par instants quelques nuages effilochés, l’école qui fait face au portail Pelleport me contemple de leurs fenêtres aveugles. Ma main droite se crispe sur la poignée de la courte matraque qui s’accroche à mon ceinturon ; la gauche serre fortement le milieu de ma cuisse, là où le muscle est le plus dur, comme s’il s’agissait pour moi de prendre conscience de ma force. Mon regard croit discerner des formes mouvantes dans ce qui ne sont que des reflets jouant sur les murs ou l’écorce des arbres du Bois des Pou...

72. Le moral dans l’infanterie

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  « Mes respects, mon Lieutenant. » En cette matinée d’octobre, je viens de croiser le sous-lieutenant Kinz, et celui –ci me dit : « Ah, bonjour, T… . Peux-tu venir un instant dans mon bureau ? Et aussi.. Tiens ! Monier ! Puisque tu es là ! Viens aussi avec nous ! » Christophe et moi échangeons un sourire interrogateur et sceptique, et suivons notre chef de section, qui nous explique rapidement ce qu’il attend de nous : « T… , Monier. On a besoin de vous. Il y a ce soir une réunion qui se tient, dont le thème est le moral dans l’infanterie. C’est un capitaine qui vient de l’extérieur, qui interroge les sous-officiers, officiers, hommes du rang, et leur demande leur avis sur les conditions de vie, le service national, et tout ça. Toi T… , tu sais bien t’exprimer, et toi Monier, tu n’es pas timide non plus, je vais vous désigner pour y aller. Vous représenterez avec honneur notre compagnie. » Je réponds :...

73. Le camp du Valdahon, la fin du voyage

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  Réveil au cœur de la nuit, dans les chambrées où les sacs sont remplis, les FAMAS disposés en faisceau, les carnets de bords des véhicules sur les tabourets qui jouxtent les lits des conducteurs. Cette fois, je ne conduirai pas, mais je serai le « chef » de bord de Yannick, autrement dit son passager, ayant le privilège de profiter de la chaleur et du confort de la cabine. Rassemblement de la compagnie sous les ordres du capitaine Gamaz, et départ alors que le Soleil se lève à peine. Les camions roulent plein gaz, dans le froid de novembre 1995. Sarrebourg. Epinal. Remiremont, puis direction Lure. Villersexel. Baume-les-Dames. Vercel-Villedieu-Le-Camp. Et enfin Valdahon. Après Sissonne, nous voilà en partance pour une deuxième session en camp d’entraînement. Novembre 1995. Bientôt la fin de voyage dans ce monde étrange pour mes camarades du 95/02. La fin pour le grenadier voltigeur de première classe T… , Premier Régiment d’Infanteri...

74. Epilogue

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  Il y a la longue litanie des dernières fois. La dernière fois où je tire avec « mon » FAMAS numéro A-56221, où je le nettoie, où je le rends à l’armurerie avec les chargeurs et la trousse de nettoyage. La dernière fois où je gare « mon » TRM-2000 immatriculé 6902873 sous le hangar, où je signe le carnet de bord. La dernière journée à porter un treillis. J’ai rendu mon badge à l’intendance, avec des regrets. J’aimais la photographie qui y figurait. J’y montrais le visage d’un soldat aux traits acérés et aux cheveux ras, mais ce n’était plus la face triste du jeune appelé faisant ces classes. J’y souriais, avec dans l’œil un mélange de joie et de fierté. Je me trouvais jeune, beau, sexy , sur cette photo. C’était la photographie du jeune homme que j’étais devenu, heureux d’être avec ses frères d’armes, ayant su tirer le meilleur de cette étrange expérience, ayant déjà oublié les heures noires de la compagnie d’instruct...