7. Le coiffeur
Au début de l’après-midi, notre première visite est pour le coiffeur. Son atelier se trouve à peu de dispense du foyer régimentaire, au premier étage. Je m’attendais, pour continuer dans la même joyeuse ambiance, à être rudement tondu dans quelque pièce austère où de vigoureux sergents nous mettraient la boule à zéro en quelques secondes, nous collant au surplus quelques estafilades sur le cuir chevelu[1], mais une fois encore, la dernière fois avant deux mois, les apparences de la civilité seront sauvegardées.
Nous sommes quatre ou cinq à nous asseoir sur des fauteuils confortables, dans un semblant de salle d’attente où quelques revues jamais consultées (« Terre Magazine », entre autres…) s’entassent sur une table basse. Nos camarades confient leur crâne à la tondeuse d’un employé civil d’aspect revêche et d’une assistante qui parait accablé par le poids de toutes les misères du monde.
A tour de rôle, chacun d’entre nous se lève pour aller s’installer sur la sellette et, sans ménagement, les chevelures les plus abondantes disparaissent en quelques minutes, mettant presque à nu des cuirs chevelus de bagnards. On reconnaît difficilement son voisin qu’on a vu l’instant précédant les cheveux jusqu’aux épaules, et qui vient de se rasseoir, le crâne presque lisse, les traits à la fois durcis et affinés par la perte de sa chevelure : nous paraissons soudain plus virils, mais aussi plus vulnérables. Nos yeux ressortent davantage, faisant ressortir de ce qu’il peut encore y avoir dans l’enfance en nos visages ; au contraire, nos pommettes paraissent plus acérées, nos mâchoires plus accusées. Les oreilles des uns et des autres s’exposent en leur petitesse ou en leur décollement comique.
L’assistante a fini de s’occuper de moi. Je caresse lentement mon cuir chevelu, d’une douceur inhabituelle. J’ai l’impression de passer ma main sur le dos d’un chien à poil ras. Je peux lire l’ahurissement et l’incrédulité sur les yeux de mes camarades. Nos quelques sourires sont peu sincères, notre mal à l’aise visible : cette fois-ci, on nous a marqués pour de bon, jusque dans notre chair, plus sûrement qu’avec un fer rouge – et non moins douloureusement semblent dire certains regards. Nous avons subi la scarification rituelle. Il me revient à la mémoire des références à ces époques et ces civilisations dans lesquels la tonte était, pour un homme, la honte suprême, auxquels certains préféraient la mort.
Notre pilosité en fait foi, nous sommes devenus des militaires. Même si nous tentions de nous échapper maintenant, notre physionomie elle-même nous trahirait. Cependant, sous ces crânes tondus, nos vêtements civils nous permettent encore de nous reconnaître. Cette dernière marque d’individualité sera vite supprimée.
La première phase du rite de passage est en marche : la mort symbolique des individus que nous étions en arrivant a commencé par les cheveux.
[1] Nous y aurons droit, mais plus tard…
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