Avant-Propos
Avant-Propos
1995 : une époque pas si éloignée.
Un quart de siècle dans le passé, à l’heure où j’écris ces lignes.
Un autre monde, cependant : pas encore de réseaux sociaux, peu de téléphones portables, mais les adolescents possèdent déjà des ordinateurs personnels, des voitures proposent les premiers GPS, on commence à chanter du rap, le rideau de fer est tombé depuis six ans, en même temps que les époux Ceausescu tombaient sous les balles d’un peloton d’exécution après un jugement sommaire.
Ce n’était plus la préhistoire, non, mais cependant, une ancienne tradition demeurait : les jeunes hommes devaient encore, vers leurs vingt ans, offrir dix mois de leur vie à la Nation. Le service militaire, fruit d’une longue histoire, jetait ses derniers feux. Peu après, le président Chirac suspendait la conscription.
Ce rite avait été partagé par des dizaines de millions d’hommes.
A intervalles réguliers, des politiques parlent de la nécessité de le rétablir.
Mais, au fait, rétablir quoi ?
Qu’était-ce vraiment, être « bidasse » ?
Quels témoignages ont été écrits à ce sujet ?
Étrangement, presque aucun : de ce rite qui a été partagé par des dizaines de millions d’hommes, ne sont sortis que quelques recueils d’anecdotes plus ou moins amusantes hâtivement rédigés sur quelques blogs, des thèses de doctorat au lectorat restreint, quelques récits en forme de pamphlets signés Pennac ou Apathie[1] : peu de choses en somme, pour une expérience qui a pourtant été partagée par une bonne proportion de la population mâle née avant 1980, et qui était considérée comme « le » rite de passage de l’adolescence à l’état d’homme adulte.
Comment s’opère ce rite de passage ?
Il y a la théorie. Les savants anthropologues ont distingué dans tout rite de passage, trois étapes successives : la rupture, ou mort symbolique de l’individu, les rites liminaires au cours desquels l’individu les jeunes hommes sont mis en marge de leur existence habituelle et voient leurs repères familiers se désagréger, et enfin la phase finale, les rites post liminaires qui marquent la renaissance symbolique et l’accès à l’âge d’homme.
Traduites en termes militaires, ces phases pourraient recouvrir : l’incorporation dans le régiment, l’instruction initiale du soldat (les fameuses « classes »), et pour finir, la tradition de la « marche fourragère », p se terminant par la remise de cette décoration collective – avant la suite du service qui conclut la fameuse « quille ».
Nous allons passer, dans ce récit, à la pratique. Dans l’expérience forcément très personnelle qui est relatée dans les pages suivent, j’essaie de faire ressentir comment ces étapes pouvaient s’inscrire dans la psyché d’un jeune homme de cette époque, ce jeune homme que j’étais.
Au moment de mon incorporation, j’étais étudiant en psychologie, méfiant à l’égard de l’armée par l’exemple peu apprécié d’un frère ainé militaire de carrière que je haïssais, et surtout échaudé par l’expérience catastrophique des « trois jours ». C’est avec angoisse que je voyais arriver le moment où il me faudrait subir la loi commune : « faire son armée » !
Tout dans mon être, mon physique, mon intellect, ma conception de que signifie être un « homme », tout semblait heurter de plein fouet les valeurs de monde dans lequel j’allais pénétrer, et j’étais « appelé » à servir sous les drapeaux avec l’enthousiasme du prisonnier innocent qu’on vient de condamner aux galères.
Comment en tant que jeune homme ayant déjà un pied dans le IIIème millénaire allais-je vivre ce que je considérais comme un anachronisme dépassé ? Très mal, certainement !
Et pourtant j’allais subir les effets du rite du passage.
Et pourtant j’allais en sortir changé.
Par quels mécanismes psychologiques ? Les pages qui suivent tentent de le montrer.
*
Même si l’essentiel des pages de ce blog ont été rédigées en 1996, j’ai voulu publier ce témoignage au moment précis où une génération est passée depuis la fin de la conscription.
Tous les faits qu’on trouvera relatés ici sont exacts ; seuls les noms des protagonistes ont été changés.
Les 74 chapitres ce de blog couvre tout le service mais accordent une importance comparativement très grande aux deux premiers mois passées à la Compagnie d’Instruction, un cinquième du service, certainement la période la plus difficile à vivre, le cœur du « rite de passage ». La suite couvre les huit mois passées à la « compagnie d’appui. »
Qu’on n’attende pas de ce récit d’être pamphlet antimilitariste, ni au contraire un éloge vibrant de l’armée ; mais simplement une plongée au cœur des effets psychologiques que provoquait cette tradition issue d’un lointain passé chez le jeune homme que j’étais.
C’est avec une tendresse particulière, que relisant ce récit avant publication, j’ai vu ressurgir devant moi des visages jeunes et amis auxquels ce texte est dédié.
Sébastien
Service militaire appelés du contingent service militaire conscription service national infanterie Sarrebourg
[1] Daniel Pennac « le service militaire au service de qui ? » Le Seuil ; Jean-Michel Apathie « Mon service militaire », Flammarion
Commentaires
Enregistrer un commentaire