31. Retour de permission
Learn these words verbatim, one by one
These are the truths you’ll need:
Raise your flags to freedom ; march for your country ; keep your lips sealed
Matt Fishel, “Testament”
Un week-end de permission où je n’ai rien dit à ma mère de ce qui s’était passé ; je n’ai rien dit des menaces dont j’ai été l’objet.
Je m’occupe comme je peux. Une promenade en forêt pour me changer les idées. Le reste du temps, j’ai fait semblant de lire. Je ne pense à rien d’autres qu’aux menaces du sergent. Un week-end d’angoisse, non de repos. Je feins d’être fatigué, alors que je suis tourmenté.
Qu’allait-il m’arriver le lundi matin ? Mon nom allait-il être appelé devant toute la section – voire la compagnie – rassemblée ? Devrai-je me diriger, avec deux ou trois compagnons d’infortune, revêtu du beau treillis de défilé, en direction du bâtiment qui se trouvait à l’entrée du Régiment, à droite du portail Rabier ? Devrai-je comparaître devant le Colonel en personne ? Cet homme, qui se trouvait à dix échelons hiérarchiques au moins au-dessus du rien du tout qu’est un soldat appelé, allait-il me faire subir la plus cuisante des homélies, le plus sévère des sermons, avant, d’un geste, d’ordonner à des cadres de m’enfermer dans le local disciplinaire ? Et là, que me ferait-on ? Comment allait-on me punir ?
Comment va-t-on me briser ?
Je suis indigné par la façon dont on me traite ! C’est injuste ! Ce qu’on me reproche au fond, c’est d’être ce que je suis, ce petit intello un peu fragile, qui « ramène sa science » sans s’en rendre compte tout simplement parce qu’il parle un peu trop bien, qu’il ne beugle pas comme une caricature de « mec », qui s’accroche comme il peut pendant les exercices mais qui n’est très rapide, ni très fort, ni très agile.
Je suis un mauvais soldat, je l’avoue. Je suis un faible, un trouillard, un binoclard ! Et alors ? Soldat, je n’ai pas demandé à l’être, bon sang !
Qu’ils arrêtent au moins de m’humilier ! Qu’ils me maltraitent comme ils le veulent, mais au moins qu’ils arrêtent de dire que je suis le dernier des derniers !
*
J’arrive à la caserne le dimanche soir, au coucher du Soleil. Ma mère m’a amené en voiture. Je l’ai salué en souriant, comme si de rien n’était ; puis j’ai fait face au portail Rabier, je n’ai pas regardé sa Jetta rouge qui s’éloignait.
Quand je traverse la grande place d’armes, j’ai l’impression que derrière les fenêtres de tous les bâtiments qui m’entourent, il y a des yeux sévères qui m’épient, des sergents, des adjudants, des caporaux, avertis par F… que je dois être puni, maté, brisé.
J’ai l’impression que c’est tout le Régiment qui est contre moi, ligué pour m’abattre !
Mon cœur bat à grands coups. Tout le Régiment contre moi ! Quel imbécile, quel gamin trouillard je suis ! J’ai conscience que sous le stress que je subis, je suis en train de frôler un vrai petit délire paranoïde… j’avais lu ça dans mes manuels de psychologie, mais le vivre, c’est autre chose
Je me dis que c’est bête, d’avoir peur comme ça. « Ils » ne vont pas me tuer, bon sang ! Ils vont m’engueuler, me traiter de tous les noms, me donner des corvées à faire, peut-être, au pire, me coller une ou deux baffes, et encore, ils n’ont pas le droit de faire ça. Non, ce qui est probable, c’est qu’ils vont m’enfermer au « gnouf », mais ils ne vont pas me tuer, merde !!!
Mais le fait est là : j’ai peur. Non comme un homme peut avoir peur : mais comme un garçonnet.
Et vous savez quoi ? J’ai peur d’eux, c’est sûr, mais j’ai surtout peur de moi. Peur de me conduire de façon lâche, lamentable, minable, apeurée.
Je dois réagir, pensé-je en serrant les poings, tandis que je m’engage sur le petit raidillon obscur qui va me conduire à la Compagnie d’Instruction.
Déserter, fuir, supplier, m’effondrer ?
Non.
Je n’ai qu’une échappatoire, en fait.
Je dois lutter.
Au fond, la solution à mes problèmes de gamin trouillard, c’est que je dois devenir un homme, un soldat.
Commentaires
Enregistrer un commentaire