24. Les cours magistraux





Chaque soir, nous consultons la petite affichette collée sur le mur, qui indique les ordres pour le lendemain : heure du réveil, du rassemblement, de la mise en place des TIG, tout est précisé dans les moindres détails. La tenue que nous devons adopter est également précisée. Séances de tirs, gymnastique, ordre serré, constituent le gros de notre emploi du temps. Cependant, à intervalles réguliers, des cours nous sont dispensés dans une petite salle du troisième étage, qui a tout d’une salle de cours échapper de quelque collège. Nous y prenons places, marquant le garde-à-vous à l’entrée de l’instructeur – caporal, caporal-chef, sergent ou sergent-chef, mais jamais le chef de section qui nous apparaît comme quasiment invisible. Un cours commence alors.

Le premier qui nous fut donné concernait les grades et appellations dans l’armée de terre. Après une introduction sur le fait que la hiérarchie définit le place de chacun et son niveau de responsabilité, en nous précisant qu’à chaque grade correspondent une aptitude, une responsabilité, et des devoirs, nous dûmes recopier laborieusement sur un petit cahier d’écolier les dessins des galons, depuis le général d’armée jusqu’au simple première classe.

Nous avons droit, un autre jour, à un bref historique de la Marseillaise, suivi d’une révision générale en chantant pour ceux parmi nous qui avions quelques doutes sur les paroles – au moins pour le refrain et le premier couplet. Cette séance se termine sur cette remarque définitive du sergent-chef : les couleurs du drapeau français datent du 27 Pluviôse an IX. Je doute fort que notre chef puisse situer cette date ne serait-ce qu’à dix ans près.

Un cours important nous précisera ensuite la nature des récompenses que nous pouvons recevoir (certificat de bonne conduite, distinction de première classe, témoignage de satisfaction, félicitations, citation, médaille de la Défense Nationale…) ainsi que des punitions. Sur ce dernier point, on nous évoque la réduction de grade – dont la perspective ne nous fait évidemment ni chaud ni froid – le retrait de la distinction de première classe. Nous apprenons avec quelque surprise que toute faute commise par nous, même dans le cadre de nos permissions, « en civil », sera automatiquement transmise au régiment et nous vaudra de surcroît une punition dans le cadre de la caserne. On évoque finalement nos droits (droit de nous exprimer, droit de recours, contrôle hiérarchique des sanctions.)

On termine finalement sur les six catégories de fautes que reconnaît l’armée (par ordre croissant de gravité : comportement et tenue, exercice de la profession, exécution du service, discipline militaire, honneur et devoir, obligations militaires). La nature concrète des punitions qui peuvent être appliquées (corvées, « trou ») reste pudiquement dans l’ombre. Nous allons découvrir cela bien  assez tôt.

Le cours suivant, on nous parle de notre hygiène corporelle (pourquoi se laver, comment procéder, le brossage des dents, comment se vêtir, quand changer de vêtements, comment s’alimenter, pourquoi ne pas fumer.) Ensuite, on nous fait recopier et répéter le chant de la section, « soldat d’infanterie », qui sera notre seule mélopée pendant deux mois, et que nous entonnerons systématiquement dès que nous évoluerons en ordre serré. Suit une leçon sur la constitution du régiment, de la compagnie, sur le salut (on doit saluer : son supérieur, les drapeaux nationaux, l’étendard du régiment, un pavillon de guerre, le drapeau des anciens combattants, l’hymne national, la sonnerie aux morts, la montée et la descente des couleurs, les personnes portant la Croix de Guerre ou la Légion d’honneur, et enfin les convois funéraires…)

Cours de secourisme, historique du régiment, organisation administratives de la France, cours NBC (nucléaire, biologique, chimique) suivi de travaux pratiques avec ANP (Appareil Normal de Protection, ou masque à gaz) et S3P (la tenue qui va avec), organigrammes de la Force d’Action Rapide, de la 4ème Division Aéromobile (avec les différents régiments, le nombre d’hélicoptères de l’un ou de l’autre, etc.) : au fil du temps et de ces séances d’instruction civique un peu particulière, l’image de l’armée prend forme devant nos yeux, avec parfois de subtils décalages avec notre réalité quotidienne.

Puis viennent les cours plus pratiques (le démontage du FAMAS : nous sommes priés de nommer les différentes pièces à leur présentation, et gare à qui confond obturateur, extracteur, levier amplification d’inertie ou doigt de maintien de la tête amovible…). Puis une initiation théorique au combat. (Les trois actes de base du combattant sont : se déplacer, se poster, utiliser ses armes. Un bon camouflage doit être FOMECBOT : il doit veiller à prendre en compte forme, ombre, matière, éclat, couleur, bruit, odeur, et traces.)

Assis sur nos petites chaises, nous prenons des notes fiévreusement, noircissant un, puis deux cahiers de brouillon 96 pages. Nous nous appliquons, sachant que la menace d’une vérification des cahiers plane sur nous. L’ancien étudiant que je suis s’ennuie un peu, habitué qu’il est à prendre des notes à la volée, alors que d’autres s’appliquent lentement, la langue à demi sortie. Mais je bénis ces petits temps de latence qui me sont accordés. Je peux me mettre à rêvasser une ou deux minutes, en toute impunité. Paradoxalement, moi, l’ancien bon élève, je comprends enfin la douce volupté des cancres.

 Mais dans la petite salle de cours, il n’y a pas de fenêtres donnant sur l’extérieur, pas de papillon printanier dont je puisse suivre le vol du coin de l’œil ; rien que les dos verts et attentifs de mes camarades penchés sur leur cahier.

Je dresse soudain l’oreille : la leçon en cours porte sur l’hygiène corporelle. Le caporal-chef lit soigneusement le manuel. Il annone scrupuleusement que dans la toilette intime, il importe « que le gant de toilette aille du périnée à l’anus, et non l’inverse »

Nous sommes quelques-uns à avoir pouffer discrètement, aussi discrètement que possible.

Sur mon cahier, j’écris soigneusement les mots « périnée » et « anus » que je relie par une flèche.

Tracée dans le bon sens, cela va sans dire.

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