23. Ordres et contrordres


 




Nous attendons, debout, dans le couloir, face aux portes fermées de nos chambres.  Le sergent F… passe, considérant nos treillis, et hurle :

« Il pleut dehors. Vous ne l’avez pas remarqué, bande de couilles de loup ? Allez mettre votre parka ! Vous avez deux minutes ! Action ! »

Nous nous précipitons sur les portes des chambres, puis sur les cadenas de nos armoires, les ouvrant bruyamment, pestons contre les lourdes parkas qu’il est si difficile de boutonner rapidement. Nous replions derrière notre nuque cette capuche inutile qu’il nous est interdit de coiffer, quel que soit le temps.

Retour dans le couloir. Derniers réglages vestimentaires : les petites ficelles à nouer à la taille et au col. Quelques engueulades. Silence. Repos. Léger sourire de F…. Hurlement soudain :

« Qu’est-ce que c’est que ces frileux ! Il ne fait pas si froid que ça ! Allez ! rangez les parkas ! Action ! Et plus vite que ça ! »

Nouveau tumulte. Soupirs agacés. Et cette parka encore plus longue à enlever qu’à mettre. Bruits de cadenas. Retour dans le couloir. Alignement. Repos.

Le sergent nous considère, sourit à nouveau, et par deux fois, nous assène à nouveau ordre et contrordre. Nous fulminons, mais obéissons, hagards, tremblant de rage et d’humiliation.

Plus tard dans la journée, alors que nous sommes rentrés dans la chambrée, Ricardo expulse sa tension nerveuse de la façon qui lui est habituelle : en lançant un puissant coup de rangers dans une armoire, laissant une marque noire sur son flanc. Puis il se tourne vers moi :

« Toi qui as fait psycho, tu ne penses pas que F… et les autres devraient se faire enfermer ? »

Je hausse les épaules avec un sourire et dit calmement :

« Leur comportement a effectivement une composante qu’on pourrait qualifier de pathologique. Essentiellement paranoïde, quoique qu’une dimension schizophrène hébéphrénique ne soit pas à exclure. Le tout associé à une indubitable déficience intellectuelle.»

Comme je l’avais prévu, ma phrase délibérément et caricaturalement psy fait sourire Ricardo, qui me demande :

« Dis-moi, Séb, comment tu fais pour rester aussi cool avec ses cons ? Toi qui as été à l’université, ils doivent te sembler encore plus bœufs qu’à un mec comme moi qui a tout juste son bac. »

Mon sourire se dissipe partiellement :

« Je vais te dire à quel point je reste cool », dis-je.

Animé par toute ma rage et ma frustration, mon pied a heurté l’armoire bien plus fortement que celui de Ricardo, la faisant vaciller. Le coup a résonné dans la pièce. Le métal est légèrement enfoncé. Tout le monde dans la chambre paraît surpris. Ce que je viens de faire n’est pas très conforme à mon image. Je souris tristement.

Je vais chercher de quoi nettoyer la trace que j’ai faite sur l’armoire. J’aurais dû m’abstenir de donner ce coup de pied. Du reste, je découvre que cela ne me soulage en rien.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

6. Un doux accueil

Avant-Propos

3. La sélection des musiciens