21. La séance photo
Il fait froid et il pleut. Nous sommes dans la cour, devant la compagnie. Incongrue parmi les véhicules militaires, la Mercedes du photographe est garée devant la porte de la salle de musculation. Nous nous sommes arrangés, assis ou debout, sur des bancs instables, nous déplaçant selon les indications du photographe, impatients que cela finisse. Je suis au premier rang, et j’ai posé mes mains sur les genoux. Un déclic enferme la section dans un cadre définitif, où le temps s’arrête. Une fois développé, ce portait collectif montrera une collection de quarante visages, quelques-uns faussement martiaux, les autres plein d’une tristesse tragique. Certains relèvent vers l’objectif un menton qui se veut volontaire ; d’autres se mordent les lèvres comme pour un appel au secours muet. Ma face ne trahit qu’une fatigue infinie.
Vient ensuite le long appel par ordre alphabétique, sous la bruine persistante, pour la photographie individuelle. On improvise une vague mise en scène. Un Peugeot « P4 » – ironique appellation qui coïncide à la réforme pour motif psychiatrique ! – tient lieu de décor, avec le triste bâtiment de la « onzième » derrière, un arbre dépouillé par l’automne. En treillis de parade bien repassé, nous prenons la pose l’un après l’autre, tenant en position du « portez armes » un FAMAS qui passe de main en main. Comme je me nomme T… , je vais attendre près d’une heure, avant de prendre place.
Les gradés nous plaisantent sur nos postures peu guerrières, nos visages plus résignés que martiaux, nos joues rougies par le froid, nos allures d’enfants perdus. Et si c’était là notre plus belle preuve de résistance, cette volonté de ne pas jouer le jeu de l’aplomb viril, de laisser transparaître notre désarroi ?
Quand vient mon tour, je saisis le fusil, soutenant le canon de ma main gauche, caressant de mes doigts la queue de détente. La pluie mouille mon plastron jaune vif ; le ceinturon FAMAS enserre ma veste de treillis de parade bien repassé. Mon béret, un peu trop grand, s’incline sur l’oreille gauche. Je ne cherche pas plus que les autres à avoir l’air belliqueux. Mes lèvres se referment en se serrant légèrement ; mes joues sont un peu creusées.
J’ai l’air plus triste que redoutable…
*
Commentaires
Enregistrer un commentaire