18. La langue des casernes
« Entre deux mots, il faut choisir le moindre »
Paul Valéry
L’armée, ce sont des odeurs, des couleurs, des sons particuliers. Mais c’est aussi et avant tout une langue. Une langue qui, au début, déconcerte, par sa verdeur martiale, son caractère direct, imagé, à l’étymologie souvent mystérieuse. Un mélange de Saint-Cyrien, de dialogues d’Audiard et de réplique de l’inspecteur Bérurier, l’adjoint truculent do commissaire San-Antonio. Une langue qui s’acquiert très vite.
Voilà ce que cela pourrait donner, en « Version Originale » :
Débarquant dans ce bordel en tant que bleu, j’ai vite vu que j’avais pas trop intérêt à être AD la plage. Sinon, je risquais de me faire asmater par le margi, voire l’aspi. Cela ne changeait rien, que je fusse un Bac+40 ou pas. De toute manière, on se ressemblait tous, quand on était en schtroumf ou en treillis de DEF – forcément nickel-chrome -, il n’y avait que la bande patro pour faire la différence. En OS, si on est pas wahad moujoud, carré de chez carré – cohésion, quoi, comme sont les PEG ou les PESO – c’est un coup à se faire engueuler à s’en faire sauter les BAB des oreilles. Faire du branle quequette, pour un bitos, ça ne pardonne pas. Pas de pitié pour les exemptés de la vie, les rase-bitume ou les Polyos. Pas de pitié non plus pour les robocops ou ceux qui psychotent.
A la garde, y’a intérêt à tout bien chouffer ce qu’on nous le demande. Il ne faut pas ronker, ni oublier de dire RAS dans le Thalweg toutes les demi-heures, dans le PP11. Sinon, c’est le coup de douze assuré de la part de l’OP. Sans compter le trou, la consigne, voire les TIG.
Sur le terrain, c’est pareil. Pas d’hésitation quand le juteux nous crie « chousse sur les kékés! ». Il s’agit de percuter. Il faut foncer façon gros décrassage. Tout en restant FOMECLBOT. Faut être à fond d’dans. Sans pour autant être suce-boules. Comme certains gorets. Y’a que comme ça qu’on peut espérer des GBS.
C’est pas facile tous les jours. Surtout quand les anciens viennent vous dire « quinze dans ta face ! »
Traduction :
En arrivant dans ce régiment en tant que nouveau, j’ai vite vu que j’avais intérêt à ne pas me montrer apathique. Sinon, je risquais les remontrances du sergent-chef, voire de l’aspirant. Que j’ai des diplômes ne changeait rien à la situation. On se ressemblait tous, que l’on porte nos survêtements bleus ou nos treillis de parade – obligatoirement impeccables . Seule la bande patronymique, sur la veste, nous différenciait. Quand nous défilions en ordre serré, si nous n’étions pas parfaits, si nous ne manœuvrions pas avec ensemble, tels les futurs caporaux ou sous-officiers, nous risquions de nous faire invectiver à en faire jaillir les bouchons anti-bruit de nos oreilles. Être un peu apathique, pour un bleu, cela ne pardonne pas. Pas de pitié pour ceux qui n’étaient pas sportifs, les appelés de petite taille qui avaient du mal à suivre le rythme, ou les maladroits. Pas de pitié non plus pour ceux qui ont du mal à marcher au pas ou qui s’emmêlent les jambes.
A la garde, il y a intérêt à bien surveiller ce qu’on doit garder. Il ne faut pas dormir, ni oublier de faire son rapport, de dire qu’il n’y a rien à signaler, toutes les demi-heures, sur le poste de radio portatif, sinon c’est l’algarade garantie par l’officier de permanence.
En camp d’entraînement, c’est pareil. Pas d’hésitation quand l’adjudant nous dit de foncer droit dans les buissons ; il faut obéir immédiatement et y mettre toute son énergie. Il ne faut pas pour autant négliger son camouflage (Forme Odeur Matière Eclat Couleur Lumière Bruit Odeur Traces). Il faut se conduire comme un vrai soldat. Sans être pour autant obséquieux avec ses supérieurs. Pas comme certains tristes personnages. Il faut savoir mériter sa permission supplémentaire accordée aux bons soldats.
Ce n’est pas facile tous les jours. Surtout quand les anciens viennent se moquer de vous en vous disant qu’à eux, il ne reste plus que quinze jours à faire.
« C’est plus clair comme ça, bande de couilles de loup ? »
Service militaire appelés du contingent service militaire conscription service national infanterie Sarrebourg
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