65. Arrivée des « bleus »

 





Les gaillards de la 95/06 nous rejoignent, dès le mois de juillet. Pour expliquer cette arrivée précoce, des explications confuses et peu fiables courent parmi nos rangs.  Pour des histoires d’effectifs, d’organisation, enfin de choses auxquelles nous ne comprenons rien, ils n’ont eu droit qu’à un mois à peine en Compagnie d’Instruction. Ils n’ont pas reçu une formation analogue à la nôtre. Le rite initiatique n’a pas été complet ! Nous sentons rapidement la différence. Nos gradés aussi. Ils disent à quel point nous sommes « mieux », ceux de la 94/12 et de la 95/02, plus disciplinés, plus endurants, plus « hommes » enfin : on peut nous faire confiance.

Les bleus arrivent. Ils contemplent avec méfiance nos galons de « Première Classe », se demandant si on doit nous saluer avec respect ou nous traiter en futurs copains. Ils sont décontenancés, mais ils n’ont pas cette rigidité de soldat que nous avions en débarquant à la Compagnie d’Appui. Ils n’ont pas la peur, cette peur des supérieurs qui pendant les semaines de « classes » ne nous avaient jamais vraiment quitté ; mais cette angoisse, nous ne l’éprouvions que pour mieux la dominer.

Mais… horreur !

Vous savez quoi ?

Mais c’est qu’ils se conduisent comme des civils !. Pour un peu, ils discuteraient les ordres. Mais dans le même temps, ces rebelles à la petite semaine, on les sent irrésolus, incapable de prendre une décision et de s’y tenir. Leur formation militaire incomplète apparaît parfois au grand jour : ils en sont encore à confondre les grades, à ne pas savoir démonter leur FAMAS; lorsque nous courrons, ils ne savent pas doser leur effort, fonçant sur le premier kilomètre, pour s’effondrer en soufflant peu après ; ils ne savent rien des mille petites règles informelles que nous autres appliquons sans même y penser.

 Les sous-officiers, les officiers ne leur font pas confiance. Nous ne pouvons que les approuver. Nous ne sommes pas de leur race. Nous sommes presque mortifiés de constater qu’eux aussi, quand ils portent le treillis de parade, arborent la fourragère aux couleurs de la médaille militaire. Injuste, disons-nous, car ils n’ont même pas réalisé la marche qui y donne droit !

Comme j’expliquais à l’un d’entre ces bleus la nécessité de respecter certaines règles de discipline, ne serait-ce qu’extérieurement, afin de se  préserver au moins de trop fréquents reproches de la part des cadres, il me dit, avec une nuance d’amusement, mais aussi d’admiration incrédule :

« Tu es à fond d’dans, toi ! »

« A fond d’dans » : la formule qui voulait tout dire. Qui signifiait qu’on était devenu un militaire. Qu’on adhérât en pleine conscience, en pleine liberté, aux règles régnant en ce lieu, sans se ménager ne serait-ce qu’une parcelle d’individualité agissante. Au fond, ce jeune homme (j’étais son aîné de trois ans) venait de me traiter de soldat.

En moi, le diplômé en psychologie sociale et différentielle, futur cadre supérieur de l’éducation nationale, je ne prenais même pas cela pour une insulte…

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