63. Héliportage
Aujourd’hui est un jour à marquer d’une pierre blanche. Après une instruction théorique et pratique au régiment, nous allons pratiquer de l’héliportage d’Auverland. Après avoir conduit notre petite voiture tout-terrain jusqu’à un point précis du camp de Lorquin, nous attendrons l’hélicoptère en préparant le matériel nécessaire pour la manœuvre, puis nous devrons attacher la voiture avec les élingues prévues à cet effet, avant de prendre place dans l’aéronef. Après, ce sera le décollage avec notre voiture ballottant par-dessous. L’opération doit être préparée avec précaution – toute négligence ne serait pas exempte de danger – mais cela ne fait qu’ajouter à la joie naïve qui est la nôtre de nous amuser avec des jouets d’une telle importance. Surtout que nous sommes en temps de paix, et que tout cela ne prête guère à conséquence.
Comme de coutume, nous procédons par binôme. Leprince, accompagné de deux appelés (Simon et moi) prenons une voiture. Je suis chargé de la conduite. L’autre voiture, qui nous précède, est sous les ordres du sous-lieutenant Kinz, qui coordonne notre petit groupe.
Nous quittons le régiment en milieu de matinée, traversons Sarrebourg et Lorquin, obliquons à trois sur un petit chemin de terre qui nous est si familier et qui prend aujourd’hui à nos yeux des couleurs si amicales (alors même que c’est ici, à Lorquin, pendant les classes, que nous avions été si épuisés). Un plateau labouré nous accueille. Nous Auverlands y sautillent. Nous prenons la position indiquée par Kinz, qui communique par radio avec les hélicoptères, et préparons les véhicules. Leprince, Simon et moi procédons efficacement, posément, mais en échangeant des plaisanteries. Nous réglons les élingues à la bonne longueur, passons les brides et attaches divers là où il faut, et notre voiture est prête en un temps record. A une cinquantaine de mètres de là, Kinz nous observe d’un œil méfiant. Il se rapproche finalement de nous.
« Vous avez bien attaché la capote sous le pare-brise rabattu sur le capot, demande-t-il. C’est là le point le plus dangereux. Si la bâche s’envole et passe dans les rotors. »
« C’est du solide », affirmai-je en tirant comme un diable sur le plastique comme pour marquer ma confiance dans notre travail.
Kinz me contemple avec un air sceptique, et finalement pointe son doigt en direction du Sud-Est.
« C’est là que les Super Puma vont venir, dit-il. Ils prendront d’abord ma voiture, puis le deuxième hélico se chargera de la vôtre. Tenez-vous prêts. »
Nous jetons un vague « à vos ordres, mon Lieutenant. » Kinz s’éloigne, ou plutôt « progresse » de sa démarche caractéristique qui nous amuse tant , et qui donne l’impression qu’il traverse bravement un champ de mines.
Notre bonne humeur monte d’un cran quand un ronronnement accentué se fait entendre dans les airs, et que les grands oiseaux arrivent… en direction du Nord-Ouest ! Après une conversation agitée à la radio, Kinz revient vers nous, nous ordonne finalement de déplacer nos voitures pour les mettre face aux hélicoptères, et vérifie une nouvelle fois l’accroche de notre capote. Il nous précise une fois de plus que sa voiture sera héliportée en premier.
Trois minutes plus tard, c’est l’hélicoptère le plus proche de nous, après un court « stationnaire », qui s’approche. Leprince est moi échangeons un regard amusé devant l’effondrement successif des prévisions du Lieutenant. L’hélicoptère se pose. Le gigantesque rotor, qu’animent les deux grosses turbines, balaye violemment l’herbe rase. Nous prenons les sacs de matériel, nos propres sacs à dos, et nous montons à bord. Un chef de cabine descend, nous salue de la main, vérifie rapidement mais soigneusement la préparation de notre véhicule, nous fait signe de la main que tout est parfait, monte avec nous mais en restant à demi à l’extérieur, les pieds calés sur le patin d’atterrissage, et nous décollons.
Nous survolons pendant une vingtaine de minutes la campagne mosellane, à basse altitude, grisé par le vent et la vitesse, tandis que Leprince m’indique par des regards significatifs que le chef de cabine lui semble fort à son goût.
Atterrissage, débarquement, décrochage de la voiture, nous voyons à regret s’éloigner notre gros oiseau. L’examen de notre voiture nous montre que tout est parfait. Rien ne s’est décroché pendant le vol.
Levant les yeux au ciel, nous voyons le second hélicoptère qui surgit, porteur de l’autre voiture. Du sol, le spectacle est impressionnant. Nous nous mettons à genoux à distance respectable tandis que la manœuvre d’atterrissage a lieu, et c’est alors que Leprince éclate de rire. Je ne comprends pas immédiatement pourquoi. Et soudain, je ris à mon tour.
La seconde voiture décrochée, le seconde Puma reparti, Kinz s’approche de nous pour inspecter d’un œil critique notre voiture, un peu vexé d’être accueilli avec des sourires qui vont d’une oreille à l’autre. C’est alors que Leprince se sent obligé de vendre la mèche :
« Mon Lieutenant, votre voiture, commence-t-il… Je crois que vous avez perdu la capote. »
Kinz se retourne comme mû par un ressort, tandis que nous gloussons.
*
Une demi-heure plus tard, on me confiera la voiture du Lieutenant (sans capote, avec le pare-brise qu’on ne peut plus redresser et sans portières) pour la ramener au régiment. Une pluie froide commence à tomber, je dois suivre la voiture capotée du capitaine Gamaz que je vois rire alors que je prends des jets d’eaux en plein visage en barrant mon cabriolet qui n’a rien de luxueux. Cela ne me fait pas perdre ma bonne humeur. J’arrive au régiment gelé, mais pour aussitôt raconter toutes nos mésaventures aux copains restés sur place. Nous apprendrons rapidement par Leprince arrivé peu après qu’on a retrouvé la capote grâce à un agriculteur « qui a vu tombé quelque chose ». La capote est tombée dans un pré, et les vaches qui paissaient à proximité se sont empressées d’aller faire leurs besoins dessus ! Ma bonne humeur redouble à cette nouvelle, et j’invente dans la foulée une chanson de circonstances sur l’air de la mère Michelle (on est une section musique, non ?), chanson qui fera vite le tour de la section, si ce n’est de la compagnie , et qui commence par :
C’était un sous-lieutenant qui avait perdu sa bâche,
Qui était tombée en voltigeant sur une vache,
Mais un agriculteur, qui avait eu très peur, etc.…
Je la chanterai même au sous-lieutenant en personne, qui se bornera à me regarder en haussant les épaules et en disant :
« Spirituel, T… . »
Ce qui démontre qu’il ne manquait pas d’humour.

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