62. Le chant des partisans
L’autobus, en ce jour d’été, nous emmène dans la direction Bourges. Toute la section « Rasura-musique » est en partance pour le Berry, qu’en 1945, le 1er R.I. contribua à libérer. Une autre section, des engagés issus d’une compagnie de combat, nous accompagne dans un autre véhicule.
Nous arrivons sur place en fin de soirée, à Saint Amand Morond. Une vaste salle polyvalente nous accueille. Nous y rangeons avec soin les instruments de musique : j’astique soigneusement mon glockenspiel. Nous pendons sur des cintres nos tenues de défilé. Etendant à même le sol nos sacs de couchage, nous quittons les survêtements bleus que nous portions pendant le voyage avant de nous abandonner à un lourd sommeil dans l’odeur moite que dégage un groupe d’hommes et que nous commençons à bien connaître.
*
Le lendemain, nous sommes alignés, sanglés dans nos tenues de parade, devant le monument aux morts. Le ciel est nuageux, presque menaçant. Face à nous, dans leurs costumes sombres couverts de décoration, d’anciens Résistants. A notre gauche, la section des engagés est alignée. Garde-à-vous, discours, Marseillaise.
Sonnerie aux morts. Brève. Emouvante. Le ciel s’est encore assombri.
Mon instrument n’a guère d’utilité, dans cette cérémonie. Je tiens les baguettes immobiles, regardant droit devant moi.
Nos tambours se mettent à battre la mesure, lentement, régulièrement. Les autres instruments se sont tus.
Alors, les belles voix graves de jeunes engagés entonnent le chant des partisans :
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu le chant lourd du pays qu’on enchaîne ?
Oh‚ partisans, ouvriers et paysans, à vos armes !
Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
Montez de la mine, descendez des collines, camarades.
Sortez de la paille les fusils à mitraille, les grenades.
Oh‚ les tueurs à la balle ou au couteau, tirez vite !
Oh‚ saboteur, attention à ton fardeau: dynamite !
C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère !
Les gars des pays où les gens au creux du lit font des rêves.
Ici, nous vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève.
Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe.
Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain du sang noir séchera au grand soleil, sur les routes.
Supplie, compagnon, dans la nuit la liberté vous écoute. »
Résistants, jeunes soldats professionnels, appelés du contingent communient. Le ciel s’est un peu éclairci. Juste à cet instant, un vol de ramiers traverse la place juste au-dessus de nous, aussi providentiel qu’un lâcher de colombes de la paix. Le drapeau français claque dans le silence et le vent.
Mon visage impassible de soldat dissimule mon émotion. Mes mains serrent toujours souplement les baguettes du glockenspiel. Les yeux des résistants brillent un peu. Puisse un peu de leur Flamme passer en nous. Si l’histoire le nécessite…
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