57. Le « première classe « Hiram




 




Que Monsieur Hiran – Pardon ! Le Première Classe Hiran – ne m’aime pas est une évidence. A ces yeux, je constitue d’évidence la quintessence du « P.A.M. » – au sens le plus injurieux du terme. Le pourquoi de cette animosité paraît plus malaisé à déterminer. Au mépris qui n’est que trop habituel de l’engagé pour l’appelé – cf. chapitre précèdent – se mêle une vindicte plus personnelle. Visiblement, mon « genre » ne lui agrée pas. Quand il est « caporal de semaine », et qu’il passe, dans le cadre de cette mission,  la revue des T.I.G.. (je suis chargé du nettoyage d’un couloir) en me posant des questions stupides, je me sens tenu de lui répondre par des affirmations plus stupides encore, partant du principe que la sottise d’un raisonnement se démontre en le poursuivant jusqu’en ses plus ultimes conséquences. A plusieurs reprises, Hiran m’a affirmé qu’il m’avait dans le collimateur. Néanmoins, il a du mal à formuler des accusations précises contre moi. Il n’y a pas, dans notre conflit, des manifestations d’indiscipline de ma part. Nous sommes simplement comme chien et chat, qui s’aboient et se feulent dessus sans trop savoir pourquoi.

Hiran ne m’inspire aucune crainte. Il est vrai que ces quelques mois ont fait du jeune homme irrésolu que j’étais en arrivant un petit soldat souvent narquois jusqu’à l’intrépidité. L’ancienne victime du redoutable sergent F… se moque bien d’un petit soldat aigri, au faciès un peu stupide, incapable de s’exprimer autrement que sous forme de meuglements. Mouche du coche, je prends même un malin plaisir à harceler ce bœuf grossier et balourd.

 Je dois certainement pousser le bouchon un peu loin car, en désespoir de cause, Hiran fait appel à son propre supérieur, et sous le motif d’irrespect, on m’annonce que je devrais me présenter devant le sergent de semaine le soir même, à l’heure où débute normalement nos « quartiers libres », pour y recevoir le châtiment justifié de ma conduite. Cette annonce m’irrite, mais ne me cause aucune inquiétude. J’en fais part à mes camarades avec un grand sourire. Certains me mettent en garde, craignant pour moi une sanction très sévère. C’est moi qui dois les rassurer. Mis au courant, le sous-lieutenant Kinz m’assure même avec une sollicitude qui me touche plus que je ne voudrais le laisser paraître qu’il a demandé à ce que ma punition soit modérée et limitée dans le temps.

Le soir, je me présente au sergent de semaine, au garde-à-vous. Le sous-officier me considère avec un sentiment d’ennui, bafouille, hésite, puis finit prononcer la terrible sentence (suspense… roulements de tambours…gros plan sur le visage valeureux du condamné)

Le verdit : il me tend un petit arrosoir, et me charge de donner leur ration d’eau toutes les plantes suspendues près des portes des chambrées de la compagnie.

        Comme on l’imagine, je reçois l’énoncé d’une sentence aussi redoutable avec la calme dignité d’un héroïque condamné à mort, me retenant avec peine de rire.

Après un noble et fier « à vos ordres, sergent ! », je prends l’arrosoir, vais le remplir aux lavabos, et commence ma tournée de jardinier.

A chaque chambrée, le bruit de l’eau coulant dans le pot fait surgir un ou plusieurs locataires. Les engagés m’interrogent : que fais-je là ? Je leur explique en quelques mots le pourquoi de ma punition. A chaque fois, leur réaction est la même :

« Ah, tu as eu affaire à Hiran ? Quelle tête de nœuds, celui-là ! Allez, bon courage ! »

Quand j’ai fini, au bout d’une heure, d’arroser toutes les plantes, la Compagnie tout entière se gausse de Hiran. Remettant dignement l’arrosoir au sergent, je lui annonce que je me suis acquitté de ma mission. Il me souhaite bonne soirée, tout aussi dignement.

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