38. Vieux camions


 



S’il y a des jours où je bénis d’avoir choisi la section « conducteurs », c’est quand nous allons nous initier à la conduite des camions. Non que je trouve, en fin de compte, un attrait particulier à cette activité, vu l’âge et l’allure des engins qui nous sont confiés. Mais pendant une demi-journée, nous échappons un peu à la sévère discipline du 1er R.I.

L’apprentissage de la conduite se fait sur un parcours situé dans l’enceinte du 1er Régiment d’Hélicoptères de Combat, à Phalsbourg, où irons beaucoup de nos camarades une fois les classes terminées. Une unité qui se rapproche plus de l’armée de l’air par le caractère plus libéral de sa discipline.

Tous les postulants au permis – voiture ou camions – montent à l’arrière d’un vieux Berliet à double commande qui nous conduit en une vingtaine de minutes assourdissantes et frigorifiantes, malgré la bâche, à Phalsbourg.  Puis nous formons un petit groupe assis sur les marches d’un bâtiment bas, près d’un vague parking, et chacun d’entre nous va faire un tour aux commandes d’un camion sous l’autorité débonnaire d’un adjudant. Pendant ce temps, les autres discutent, s’offrant même le luxe de s’asseoir, de se vautrer un peu, relâchement que nous n’oserions même pas esquisser même dans la partie la plus déserte du régiment de Sarrebourg.

Le camion est un Berliet GBC 8KT des années soixante, six roues motrices, boîte de vitesses non synchronisée. Les six rapports s’enclenchent selon une grille inverse à celle que nous connaissons habituellement. La force nécessaire pour passer la marche arrière enfoncerait un clou dans une poutre en chêne. Il y a cinq pédales au plancher : l’accélérateur, le frein, l’embrayage, le ralentisseur et l’avertisseur sonore. Nous devons déployer une agilité d’organistes pour ne pas faire de confusion. Le gros moteur cinq cylindres, qui peut tourner nous dit-on avec n’importe quoi en guise de carburant, ébranle le dix tonnes avec la lenteur mais la conviction inexorable d’une locomotive. Nous finissons par trouver quelque plaisir à manier ce gros engin rustique qu’on sent capable de surmonter n’importe quel obstacle. Mais ce sont surtout nos discussions, guère passionnantes pourtant, sur tout et sur rien, qui nous offre le répit sans lequel nombre d’entre nous sombreraient dans la plus noire dépression.

Nous finirons par obtenir notre permis, sans jamais avoir eu l’occasion, pour la plupart d’entre nous, d’enclencher la marche arrière. Il nous restera, nous a-t-on prévenu, à faire un nombre suffisant de kilomètres si nous voulons le valider dans le civil.

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